Aide active à mourir.

Proposition pour un accompagnement soignant solidaire.

Eléments de contexte

Un projet de loi autorisant l’aide active à mourir (AAM) sera remis prochainement au Président de la République. Il devra en préciser les modalités (suicide assisté et/ou euthanasie) ainsi que les critères d’accès (pronostic vital engagé à moyen terme ou non, accès possible sur directives anticipées ou non). Qu’il s’agisse du suicide assisté ou de l’euthanasie, les médecins ont l’entière responsabilité de la prescription d’une substance létale, après évaluation de la demande. Seule la réalisation de l’acte varie, effectuée par un médecin pour l’euthanasie, et par la personne malade pour le suicide assisté. Dans tous les cas, l’AAM répond à la volonté libre et éclairée d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, face à des souffrances inapaisables. C’est le prérequis commun à l’ensemble des pays ayant légiféré en faveur d’une AAM, reconnaissant ainsi un droit à l’autodétermination des personnes malades et un manque dans l’accompagnement de fin de vie. Le choix opéré par ces pays d’opter pour le suicide assisté plutôt que l’euthanasie peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs, notamment culturels, mais aussi par la réticence de certains professionnels de santé. Ainsi, dans les pays autorisant seulement le suicide assisté (Oregon et autres Etats américains, Autriche, Suisse)¹, le rôle du médecin s’arrête à la prescription du produit létal. Aucune assistance médicale secondaire n’est proposée, ni pour la personne malade ni pour ses proches. En Suisse, l’accès au suicide assisté nécessite une adhésion préalable auprès d’associations de bénévoles. L’examen de la demande et la prescription du produit létal sont effectués par un médecin bénévole de l’association. Après le décès, une enquête judiciaire est systématiquement réalisée auprès des personnes présentes, destinée à vérifier que la personne malade se soit bien auto-administrée la substance létale, indépendamment de toute pression extérieure.

Notre position et proposition

Alors que la France s’apprête à légiférer, un accès unique au suicide assisté semble priorisé, limitant ainsi l’implication des professionnels de santé en accord avec la position de ceux qui se sont majoritairement exprimés contre toute forme de participation à une aide active à mourir. Cependant, nous, professionnels de santé de terrain également engagés auprès de personnes atteintes de pathologies très diverses, souhaitons exprimer ici une position différente.

Nous qui accompagnons des personnes malades sans espoir de guérison et dont les souffrances ne peuvent être apaisées dans le cadre législatif actuel, estimons qu’il est de notre responsabilité de répondre à leur demande d’aide active à mourir, qu’il s’agisse d’une demande de suicide assisté ou d’euthanasie. Dès lors que la demande d’AAM nous apparait comme étant le reflet d’une volonté libre et éclairée, nous estimons qu’il est de notre responsabilité de leur garantir une assistance médicale jusqu’à l’acte final afin de leur permettre une mort digne et apaisée. Nous, professionnels de santé, estimons que l’AAM doit s’inscrire dans le champ du soin, seul garant d’un accompagnement de fin de vie solidaire destiné tant à la personne malade qu’à ses proches. Nous professionnels de santé, à qui il n’appartient pas d’écrire la loi mais qui aurons à l’appliquer demain, souhaitons par ailleurs énoncer des recommandations qui nous apparaissent nécessaires pour engager notre responsabilité:

1 Une responsabilité médicale partagée

L’accès à l’AAM sur demande de la personne malade devrait être validé par deux médecins indépendants dont l’un spécialiste de la pathologie concernée, l’autre étant idéalement le médecin référent dans un parcours de soins donné. Cette double évaluation devrait être effectuée dans une certaine temporalité destinée à s’assurer de la persistance de la demande mais aussi adaptée à une situation clinique pouvant être rapidement évolutive. Un avis consultatif collégial préalable serait souhaitable établi par l’équipe soignante élargie (médecins, infirmiers, psychologues…) mais aussi par des représentants des sciences humaines et sociales, de la société civile…

2

L’évaluation de la volonté libre et éclairée de la personne malade implique qu’elle reçoive une information loyale sur sa situation médicale actuelle et sur toutes les ressources thérapeutiques disponibles, dont les soins de support et les soins palliatifs. Elle nécessite d’être réinterrogée tout au long du parcours. Un accès sur directives anticipées pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives et personnes en état de conscience minimal devrait être considéré.

3Une assistance médicale continue

La présence et l’assistance des professionnels de santé devraient être prévues dans toutes les phases de l’AAM, de l’évaluation de la demande à l’acte final, quelle que soit la modalité d’administration choisie afin de prévenir et pallier tout événement indésirable durant et après le geste, et afin d’assurer un accompagnement des proches.

4

Un accès en ville comme à l’hôpital nécessitant une coordination entre les différents acteurs du territoire (médecins traitants, infirmiers libéraux, référents hospitaliers, pharmaciens…)

5

Une clause de conscience spécifique, pour tout professionnel de santé ne souhaitant pas être impliqué

6 Une formation et des moyens dédiés

Une formation à la fin de vie incluant l’AAM devrait être préalable à l’entrée en vigueur de la loi et adressée à tous les professionnels de santé, dans ses aspects législatifs, éthiques et pratiques. Des moyens humains et financiers spécifiques devraient lui être alloués.

7

Un enregistrement de toutes les demandes devrait être effectué sur un registre national ou régional, incluant la notification de tous les éléments cliniques pertinents, les personnes impliquées, les décisions prises et la traçabilité des actes effectués. Une commission ad hoc devrait examiner de façon trimestrielle ce registre et publiera annuellement des données de suivi.



Liste des 102 signataires de la tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 07/09/2023 :

  • Mathieu Acquier, Réanimateur
  • Valérie Assuerus, Neurologue
  • Sophie Auriacombe, Neurologue
  • Gaelle Bailleul, Gériatre
  • Marie Bannier, Chirurgien sénologique
  • Lucie Barthod, Médecin généraliste
  • Nadia Benmoussa-Rebibo, Chirurgien ORL
  • Khalida Berkane, Medecin addictologue
  • Gilles Bernardin, Réanimateur
  • Bryan Berthet-Delteil, Anesthésiste réanimateur
  • Jean-Philippe Bertocchio, Nephrologue
  • Pierre Beuriat, Neurologue
  • Muriel Blery, Médecin généraliste
  • François Blot, Réanimateur
  • Laetitia Bodenes, Réanimateur
  • Benedetta Bodini , Neurologue
  • Cecilia Bonnet , Neurologue
  • Serge Boudon, Neuropsychiatre
  • Alexandre Boyer, Réanimateur
  • Christine Brefel Courbon, Neurologue
  • Ingrid Breuskin, Chirurgien ORL
  • Léandre Buton , Oncologue
  • Diana Cardenaz-Braz, Médecin nutritionniste
  • Elisabeth Cohen-Hadria, Psychologue clinicienne
  • Olivier Colin, Neurologue
  • Marie-Christine Commandeur, Psychiatre
  • Jacques D'Anglejan, Neurologue
  • Eric Dansin, Pneumo-oncologue
  • Caroline Dehais, Neuro-oncologue
  • Cécile Delorme, Neurologue
  • Sophie Demeret, Neuro-réanimateur
  • Lucas Di Meglio, Neuro-réanimateur
  • Gilles Dreyfus, Chirurgien cardiaque
  • Anne Laure Dubessy, Neurologue
  • Sarah Dumont, Oncologue
  • Olivier Fain, Médecin interniste
  • Bruno Falissard, Psychiatre
  • Frank Ferrari, Infirmier de coodination
  • Emmanuel Flamand-Roze, Neurologue
  • Margot Fremaux, Anesthésiste
  • Béatrice Garcin , Neurologue
  • Marie Luce Gilbert, Anesthésiste réanimateur
  • Pierre-Jean Gonon, Neurologue
  • Francois-Xavier Goudot, Cardiologue
  • François Gueyffier, Cardiologue
  • Anna Heinzmann, Neurologue
  • Nathalie Ho Hio Hen, Médecin nutritionniste
  • Pascale Homeyer, Neurologue
  • Dominique Hurel, Réanimateur
  • Ahmed Idbaih, Neuro-oncologue
  • Bechir Jarraya, Neurochirurgien
  • Catherine Jousselme, Psychiatre
  • Cathy Landu, Infirmière
  • Bertrand Lapergue, Neurologue
  • Frederique Lapierre, Cadre de santé
  • Sylvie Lavernhe, Neurologue
  • Andrea Lazzarotto, Neurologue
  • Emmanuelle Le Page, Neurologue
  • Johan Leguilloux, Neurologue
  • Caroline Le Maout, Psychiatre
  • Timothée Lenglet, Neurologue
  • Patrice Leininger, Médecin généraliste
  • Michèle Levy-Soussan, Médecin de soins palliatifs
  • Muriel Loiseau, Infirmière
  • Philippe Manceau, Neurologue
  • Vincent Marchand, Cadre de santé
  • William Marie, Réanimateur
  • Clémence Marois, Neuro-réanimatrice
  • Antoine Marty, Médecin réanimateur
  • Amandine Maulard, Chirurgienne oncologique
  • Florian Maxwell, Radiologue
  • Jean Yves Mear, Neurologue
  • Valerie Mesnage, Neurologue
  • Murielle Mollo, Médecin vasculaire
  • Sylvie Mondésir, Infirmiere de coordination
  • Céline Nagera-Lazarovici, Onco-gériatre
  • Claude Nasri, Infirmier
  • Fabienne Ory, Neurologue
  • Evangelia Pappa, Neurologue
  • Lucie Pelan, Neuropsychologue
  • Lucie Pierron, Neuro-généticienne
  • Dimitri Psimaras, Neuro-oncologue
  • Corinne Quéruel-Gonon, Neurologue
  • Christine Raynaud-Donzel, Pneumo-oncologue
  • Jean Reignier, Réanimateur
  • Elisabeth Rivet, Cadre de santé
  • René Robert, Réanimateur
  • Julien Rossignol, Hématologue
  • Nathalie Rosso, Psychiatre
  • Lionel Rostaing, Néphrologue
  • Fantoumata Sacko, Infirmière
  • Alexandra Samier Foubert, Neurologue
  • Cathy San Marcelino, Infirmière
  • Tarek Sharshar, Neuro-réanimateur
  • Dilanda Terfaia, Neuropsychologue
  • Jean-Luc Thibault, Neurologue
  • Jean-François Tuloup, Médecin généraliste
  • Lynn Uhrig, Anesthésiste-réanimateur
  • Anne Veinstein, Réanimateur
  • Diane Villemonte De La Clergerie, Interne de médecine nucléaire
  • Nicolas Weiss, Neuro-réanimateur
  • Frédéric Wolff, Cadre de santé
  • Marion Yger, Neurologue
  • Nadia Younan, Neuro-oncologue



Depuis la parution de notre tribune le 7 septembre 2023, nous ont rejoint:

  • Marie Teneur, Psychiatre
  • Frederic Lioté, Rhumatologue
  • Gisèle Gremmo-Feger, Pédiatre néonatalogiste
  • Benoit Féger, Chirurgien ORL et cancérologie cervico faciale
  • Julie Mazoyer, Neurologue
  • Pierre Descols, Chirurgien dentiste
  • Florence Signon, Psychiatre
  • Cécile Hubsch, Neurologue
  • Astrid De Liege, Neurologue
  • Catherine Neveu, Cadre de santé
  • Sophie Drapier, Neurologue
  • Olivier Pautonnier, Infirmier anesthésiste
  • Deborah Tisserand, Infirmière de coordination
  • Edouard Raynaud, Médecin généraliste
  • Patrice Leininger, Médecin généraliste
  • Caroline Le Maout, Psychiatre
  • Brigitte Lescoeur, Pédiatre
  • Léonor Fasse, Psychologue clinicienne

Les signataires de cette tribune le font en leur nom, indépendamment des institutions ou sociétés savantes qui les représentent.

Valérie Mesnage est neurologue hospitalière, spécialisée dans la prise en charge des maladies neurodégénératives.

François Blot est praticien hospitalier et spécialiste en réanimation médicale. Il est l’auteur de « Faut-il légaliser l’aide médicale à mourir ? » (Hermann, 2023).

1. P.Galmiche, Panorama des législations sur l’aide active à mourir dans le monde, Paris : CNSPFV, mai 2022, 230 p.